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NON A LA DETTE !!
12 mars 2008

Le découplage des croissances

Jean Fourastié a formidablement expliqué le développement économique des XIXe et XXe siècles (j'invite tout le monde à lire son "best-of" posthume intitulé Productivité et richesse des nations ou au moins son résumé). Les gains de productivité (la hausse de la production par rapport aux facteurs employés) ont permis aux agriculteurs, d'abord, de nourrir plus de personnes. Puis l'industrie a ainsi pu produire des biens que nous souhaitions consommer et utiliser, toujours plus nombreux et à moindre coût grâce aux progrès de productivité. Enfin, les services et les nouvelles technologies nous permettent de communiquer, de nous informer, de consommer, de payer, de nous financer plus facilement et à un coût réel (par rapport à nos revenus) de plus en plus faible. En bref, la formidable hausse de la productivité en deux siècles a généré une formidable hausse de notre pouvoir d'achat.

Mais les temps actuels semblent remettre en cause cette évolution séculaire. Pour la première fois, et depuis quelques années, le pouvoir d'achat en France et en Europe est en baisse. Le revenu moyen permet d'acheter moins de biens et de services qu'il y a quelques années. Les prix augmentent plus vite que nos revenus. Quand aujourd'hui les prix des logements se stabilisent enfin après avoir plus que doublé en dix ans, c'est le prix de la nourriture qui commence à augmenter fortement. Et parallèlement, le prix du pétrole ne cesse d'augmenter, avec des prix à la pompe multipliés par 1,5 au cours des cinq dernières années.

Si c'est la hausse de la productivité qui a permis la hausse du pouvoir d'achat, la baisse récente de ce dernier proviendrait donc d'une baisse de la productivité. Prenons l'exemple du pétrole pour bien comprendre. Pendant les deux siècles de sa consommation, son prix réel a régulièrement baissé grâce à deux facteurs. D'abord, les économies d'échelle : extraire 80 millions de barils coûte moins cher par baril qu'en extraire 10, toutes choses égales par ailleurs. Mais surtout de nouvelles techniques et matériels ont permis d'extraire et de transporter toujours plus de pétrole avec des coûts régulièrement réduits : c'est la hausse de la productivité. Cependant, les ressources naturelles étant par définition limitées, on se rend compte petit à petit que nous épuisons les gisements qui étaient facilement exploitables et qu'il faut creuser plus profond, sur terre comme en mer, pour extraire des quantités de pétrole données, pétrole qui est souvent de moins bonne qualité que les premiers gisements exploités et qui nécessite donc plus de transformation par la suite.

Et ceci est vrai pour l'ensemble des ressources naturelles (à des degrés divers). Jusqu'à la fin du XXe siècle, la productivité n'allait que croissante. Grâce à l'abondance apparente des ressources naturelles, la production d'un bien ou d'un service ne pouvait coûter que moins cher, en termes réels, d'une année sur l'autre. Mais quand l'extraction des ressources devient moins facile, bien que nos machines et les connaissances de nos scientifiques continuent de s'améliorer, celle-ci devient plus coûteuse.

Dit autrement : la raréfaction des ressources naturelles est un facteur de décroissance de la productivité. Or diminution de la productivité signifie diminution du pouvoir d'achat.

Alors vous me direz peut-être : "ok, l'industrie peut devenir moins productive, mais nos économies reposent sur les services à 70%". Ce n'est pas faux, mais les services représentent par nature le secteur avec les gains de productivité les plus faibles. Là encore j'en appelle à Fourastié pour la démonstration qui - en plus des "Trente Glorieuses" - a aussi défini et baptisé les trois secteurs de l'économie : primaire, secondaire et tertiaire. Si vous le lisez, il ne les définit pas seulement comme trois niveaux de développement des sociétés (l'accroissement de la productivité apporté par le progrès technique a provoqué les grandes migrations de la population active de l'agriculture vers l'industrie, puis de l'industrie vers les activités de services), il les définit surtout comme trois branches avec des gains de productivité potentiels très différents, en appelant primaire toute activité à progrès technique moyen, secondaire toute activité à progrès technique rapide, tertiaire toute activité à progrès technique lent.

Si certains services ont connu récemment de forts gains de productivité grâce à des ruptures technologiques (notemment le développement de l'informatique puis de l'internet), la plupart des services présentent des gains de productivité faibles (exemple : la consultation d'un médecin) voire nuls (exemple une coupe chez le coiffeur). Ce qui fait dire à Fourastié dès avant les trente glorieuses : "le temps de la croissance économique ne pourra être qu'une phase transitoire entre deux équilibres : un équilibre ancien caractérisé par une énorme population active agricole et un très faible niveau de vie moyen ; un équilibre futur qui sera caractérisé par une énorme population active tertiaire et un niveau de vie moyen très élevé."

Je vais donc plus loin : les XXIe et XXIIe siècles pourraient bien être caractérisés par une faible hausse de la productivité des services, comme les précédents, mais aussi par une diminution de la productivité de l'industrie et de l'agriculture à cause de la raréfaction des ressources naturelles. Ainsi, à l'échelle mondiale, après le rattrapage de productivité dont les pays émergents bénéficient aujourd'hui, la croissance pourrait nettement ralentir, puis tendre vers zéro. "Le temps de la croissance économique" serait ainsi terminé.

Par ailleurs, on a dit que la raréfaction des ressources diminue la productivité. Or dans le monde fini que nous habitons, la hausse de la consommation, où qu'elle soit dans le monde, favorise la raréfaction des ressources. Ainsi, la hausse du niveau de vie dans un endroit du monde favorise la baisse de la productivité, et donc du niveau de vie, dans le reste du monde.

Ceci remet en cause la vision traditionnelle des liens de croissance entre les pays. Concernant les prévisions de croissance en Europe pour 2008 par exemple, vous pourrez lire qu'elle sera faible à cause du ralentissement américain, mais quand même solide grâce à la demande des pays émergents. Ces liens de cause à effet étaient vrais dans le passé, et le sont encore dans une large mesure aujourd'hui, en particulier lorsque les liens commerciaux entre deux pays ou deux régions sont forts. Mais on se rend compte de l'émergence de facteurs opposés : par exemple la croissance de la Chine et sa demande en pétrole réduit clairement le pouvoir d'achat de l'automobiliste européen ou américian. Autrement dit, la croissance d'une région comme l'Europe serait - pour une part grandissante - inversement liée à celle d'une région comme l'Asie de l'Est...

Les conséquences de ce nouveau paradigme économique seraient multiples et diverses. D'un point de vue économique on aurait un monde plus stable, dans la mesure ou la décroissance dans une région du monde serait systématiquement compensée par une croissance ailleurs. Ainsi le prix des matières premières augmenterait régulièrement, de même que les volumes de production évolueraient avec un taux de croissance décroissant. D'un point de vue politique, ceci renforcerait la violence des guerres à venir pour l'appropriation des ressources naturelles (énergie, métaux, mais aussi céréales et eau).

L'année 2008 va être un test grandeur nature pour cette théorie car la croissance de la Chine va probablement ralentir. Alors deux scénarios sont possible : soit cela entraine un ralentissement de la croissance en occident et cette théorie s'en trouvera invalidée (ce qui n'empêche pas qu'elle devienne valable plus tard), soit la baisse des prix relance le pouvoir d'achat et la croissance occidentale et il faudra alors la prendre en compte. Bilan dans un an !

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A
Une année ou presque s'est écoulée depuis l'apparition des signes avant-coureurs de l'abcès des crédits « subprime ». De proche en proche, les marchés financiers, par nature inséparables du capitalisme réel (l'économie tout entière est un vaste réseau d'échanges), sont frappés de paralysie. Un nombre croissant de reconnaissances de dettes sous toutes leurs formes (et elles sont innombrables) ont cessé d'avoir un prix. Elles sont invendables. On ne peut imaginer déni plus radical de l'économie de marché. D'où la menace d'effondrement qui a fait perdre à la Fed son sang-froid. On vient derechef de le constater.<br /> <br /> Mais des idées fausses sur la gestion des entreprises en général et des établissements financiers en particulier continuent à être « pensées » comme intangibles et « créatrices de richesses ». Aussi longtemps qu'il en sera ainsi, la crise développera inexorablement ses effets.<br /> <br /> On nous avait décrit un monde promis à la prédominance absolue et bienvenue de l'économie privée soumise à la seule discipline de la concurrence « mondiale ». Sur la pointe des pieds et sans perdre pour autant (jusqu'à ce jour) ses illusions, le monde réel est en train d'emprunter un autre chemin. Sa destination est encore indécise, mais une chose est sûre. Il ressemblera de moins en moins aux rêves inspirés par la tour de Babel, celle où l'on parlait tous la même langue et où on travaillait tous pour un marché supposé globalisé. Les banques les plus profondément immergées dans ce culte de la globalisation et du profit maximal seront les premières à être forcées de s'en dégager. Elles sont en train de franchir le premier pas sous l'empire d'une nécessité imprévue par nos augures. Elles doivent impérativement se recapitaliser alors qu'elles avaient organisé systématiquement, avec l'encouragement des autorités, leur « décapitalisation ».<br /> <br /> On aurait tort de voir dans la nationalisation de la banque britannique Northern Rock un cas isolé. D'abord, le motif qui a poussé Gordon Brown à faire ce qu'il aurait abominé de faire quelques semaines auparavant n'a rien d'exceptionnel. Vu l'absence d'empressement des autres établissements pour reprendre leur confrère en faillite, le choix était entre la disparition de la cinquième banque du Royaume-Uni impliquant le non-remboursement des gros et moyens déposants ou bien la reprise par l'Etat. Inutile de se demander de quel côté a penché la préférence des gros clients, ceux-là mêmes qui ne juraient hier que par le capitalisme privé pur, animé par l'efficace axiome schumpetérien de la « destruction créatrice ».<br /> <br /> Ensuite la solution elle-même. On en a déjà sous les yeux toute une palette de variantes (1). En vertu de l'accord dit de « Bâle 2 », les grandes banques ne se voient plus imposer de normes prudentielles pour faire face à leurs risques. D'un régime il est vrai passablement absurde, on est passé depuis l'année dernière à un autre franchement scandaleux et qui dénote la soumission au lobby bancaire des autorités monétaires. Depuis l'année dernière, les banques centrales et les Trésors publics réunis au sein des comités organisés par la Banque des règlements internationaux de Bâle ont délégué... aux banques elles-mêmes le soin de déterminer l'ampleur des risques auxquels elles s'exposent (au vu de leurs « modèles », rendus depuis lors célèbres par... la Société Générale !) et l'importance de la couverture en capital exigée par ces risques.<br /> <br /> Conséquence : au moment où allait éclater le fiasco du « subprime », les Citibank et autres banques « dynamiques », américaines et européennes, étaient en train de réduire la part des fonds propres (déjà ramenée à la portion congrue) dans le financement de leurs opérations les plus risquées. L'ironie de l'histoire veut que, pour certaines banques américaines (en attendant le tour des européennes), la planche de salut soit tendue par des fonds souverains. En forçant un peu le trait (cette hardiesse apparaîtra demain bien timide !), on serait tenté d'écrire que les Etats occidentaux n'auront pas besoin de nationaliser leurs banques : les Etats arabes et la République populaire de Chine se chargeront de le faire à leur place, et plus discrètement s'il vous plaît.<br /> <br /> Mais, contrairement à ce qui vient d'être dit ici, le remède au capitalisme financier à effet de levier (lourdement endetté) ne se trouve-il donc pas précisément dans ces nouveaux acteurs de la mondialisation que sont les fonds souverains ? La vraie question n'est pas là. Il est difficile d'imaginer que les Etats se feront la même idée de leurs placements que s'en font les « investment banks ». Ils n'ont pas mandat de jouer au casino. Le fonds chinois a pris soin de se constituer en commençant par une émission d'obligations offerte aux épargnants du pays (le produit en a été ensuite converti en devises détenues par la Banque Populaire de Chine). A terme, c'est l'idée même que le gain attendu est proportionnel au risque - un principe de base de la finance « moderne » - qui sera remise en question. D'un point de vue strictement économique, ce principe procède d'une confusion entre innovation et hardiesse d'une part, et risque d'autre part. En réalité, le meilleur projet d'investissement est celui qui, en dépit des préjugés ambiants, a le plus de chances de réussir.<br /> <br /> Une faillite intellectuelle majeure est en train d'éclater au grand jour. Elle a malheureusement pour origine une initiative la Commission européenne. Celle-ci a fait des économies européennes les cobayes d'une réforme comptable radicale. Cette réforme ultrasophistiquée a pour fondement deux idées coupées de la réalité économique. La première est qu'à la faveur de la mondialisation il existe potentiellement un marché pour toutes créances (désignées à l'envers par les anglophones qui préfèrent parler de marché de la « debt »), illusion qui est à la base de la notion de « fair value ». On a oublié la discipline du cash (pas de profit ou de perte enregistrée en dehors d'une transaction effective). Elle revient au galop. La deuxième idée est rarement mentionnée. Elle pourrait bien dans un avenir proche engendrer une crise de confiance au regard de laquelle celle qui a été déclenchée par les crédits « subprime », déjà vitriolée, apparaîtra presque bénigne. Les nouvelles normes comptables entérinent, systématisent, instituent la confusion la plus néfaste introduite par la prétendue science financière. Ces normes contribuent à faire passer pour fonds propres des ressources en réalité empruntées.<br /> Paul Fabra
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